NEWS - Aménagement et Sociétés montagnardes - 22 octobre 2015
Par Manu Rivaud
En Haute-Romanche et dans les Hautes-Alpes, l’espoir revient après plus de 190 jours de fermeture de la route départementale 1091 au niveau du tunnel du Chambon, accès routier majeur depuis l’Isère. En rive gauche du lac du même nom, retenue d’EDF, une piste de secours est née d’un chantier exceptionnel. Mais le terrassement est toujours en cours et l’enrobage de roulement reste à faire.

Axe routier fréquenté reliant les Hautes-Alpes et l’Isère, déclassée de nationale à départementale en 2006, la RD1091 est fermée depuis le 10 avril au niveau du tunnel du Chambon, à 25 kilomètres en aval du col du Lautaret. L’affaiblissement de la voûte du tunnel début avril, puis l’effondrement de la montagne sous laquelle il a été creusé en 1932, ont plongé cet été la Haute-Romanche, et plus loin le Briançonnais, dans une détresse sociale et économique qui a résonné jusqu’au sommet de l’État. L’Isère aurait moins souffert. La Haute-Romanche est une vallée de haute montagne, les versants sont abrupts et au niveau du tunnel qui s’éboule, le lac du Chambon, retenue d’EDF et long de 5 kilomètres, impose la construction des routes à flanc de montagne.


Dans les deux départements, les pertes financières pour les professionnels sont « disparates et les préjudices ne sont pas encore mesurés dans leur globalité », ont annoncé les élus de l’Isère et des Hautes-Alpes le 15 octobre dernier, à Grenoble. Beaucoup de particuliers, qui pour le travail ou d’autres raisons ont dû s’adapter au sinistre, ont aussi payé moralement, physiquement et financièrement (sur la détresse sociale et économique en Haute Romanche cet été, lire ici le reportage de François Carrel paru dans Libération, le 23 juillet).
Il s’est agi de traverser le lac du Chambon via un service de navettes lacustres – rendues héliportées fin juillet le temps de l’effondrement – ou d’emprunter d’autres routes et autoroutes de contournement. Mises en place par les collectivités, fonctionnelles sur trois créneaux horaires matin, midi et soir, les navettes lacustres ont permis à quelques-uns de pouvoir utiliser la route 1091 à l’aval et à l’amont du lac, moyennant quelques manœuvres de véhicules ou de covoiturages. Autrement, il fallait faire le tour du massif des Ecrins via la ville de Gap – jusqu’à 3 heures de route supplémentaire – ou bien traverser via le col du Galibier en amont du Lautaret – ajouter jusqu’à 1 h et 14 euros de péage pour un VL, une option bientôt caduque à cause de la neige au Galibier – ou encore emprunter le tunnel du Fréjus en Italie – ajouter jusqu’à 3 h et un tarif réduit pour l’occasion grâce au partenariat établi entre l’exploitant du Fréjus et le Pays du grand Briançonnais (26 euros minimum l’aller simple pour un VL). Pour les transporteurs de marchandises, les commerçants, les artisans… les surcoûts de fonctionnement ont été élevés. Pour relancer l’économie des entreprises les plus touchées, les Hautes-Alpes ont crédité 750 000 euros, l’Isère 200 000. L’État, les régions Rhône Alpes et PACA participent également à ce soutien aux entreprises, mais sur cet aspect, l’aide globale reste à ce jour difficile à chiffrer et d’autres dépenses sont à prévoir.


Mi-octobre à Grenoble, le préfet de l’Isère Jean-Paul Bonnetain déclarait ne pas oublier cette « histoire de détresse, la détresse des territoires, des populations, des acteurs économiques », reprenant les déclarations du premier ministre Manuel Valls qui s’était déplacé sur les lieux le 24 juillet. Sous la pression « très prégnante des populations, des élus, nous avons néanmoins travaillé en confiance avec les services du département de l’Isère et validé ses propositions », a-t-il poursuivi.
Le 19 juin, au bout de maintes études de solutions pérennes d’ouvrages estimées trop chères ou trop longues à mettre en œuvre, accélérant les procédures interminables qu’impliquent les travaux publics devant l’échéance de l’hiver à six mois, le département de l’Isère a choisi de réaliser une piste de secours en rive gauche du lac, pour un budget de 5 millions d’euros (réévalué à 6,7 millions depuis). Parallèlement, il a proposé début septembre la dérivation du tunnel du Chambon existant, afin de retrouver une circulation normale en rive droite via la RD1091 en décembre 2016. Mais la livraison de cette dérivation est encore loin : si les « services de l’État ont expertisé et validé » cette solution pérenne, la répartition entre les collectivités des 20 à 30 millions d’euros de coût estimé n’est pas encore fixée. Les régions interviendraient dans le cadre des contrats de massifs, l’État en terme de solidarité nationale. Par conséquent, les appels d’offre ne sont pas encore lancés. On peut espérer que les « concertations en cours avec les exécutifs régionaux » aillent bon train, à six semaines des prochaines élections régionales.
Aujourd’hui, le compte à rebours de l’hiver et de la saison touristique, notamment vitale pour les communes de La Grave et de Villar d’Arène, a commencé. Tous les espoirs reposent sur le chantier de la piste de secours, en rive gauche. Plutôt dantesque, il est très bien avancé, mais pas encore fini. Une importante chute d’or blanc pourrait le mettre en péril.
Le chantier de la vie
Quatre mois maintenant que quelques dizaines d’hommes travaillent six jours sur sept et de 6 h à 21 h pour construire cette piste de secours en rive gauche du lac du Chambon. Il a d’abord fallu sécuriser le tracé, long de 5,3 kilomètres et dominé sur toute sa longueur par le versant nord de la Sure (2451 m). Haut de 1400 mètres, raide, d’importantes falaises aux roches douteuses le parsèment. Les spécialistes de l’entreprise Hydrokarst de Sassenage (Isère) ont d’abord purgé les zones les plus critiques, puis fixé des pare-pierres sur plusieurs centaines de mètres à flanc de falaise et de pente. Alors ont-ils pu poursuivre, avec notamment l’entreprise Gravier des Deux Alpes, la création de cette piste. Il a fallu débroussailler d’anciennes sections de piste forestière, miner un large éperon rocheux qui barrait le passage, terrasser et soutenir les bas-côtés schisteux.




Le 14 octobre, la voie était ouverte vers les Hautes-Alpes. Le 20, par des températures proches de zéro et sous le sommet désormais blanchi de la Sure, une cinquantaine de personnes des entreprises impliquées oeuvrait dans la poussière de schiste. Sur toute sa longueur, la voie paraît prête à accueillir sa couche de roulement en enrobé, mais « il reste à faire », a témoigné un employé. Si les élus des départements et les services de l’État restent « très prudents » sur la date d’ouverture, espérée pour la première quinzaine de novembre, les équipes de terrain réagissent de même. Une chute de neige importante à basse altitude et le gel seraient dramatiques, la couche de roulement en enrobé doit être posée, les glissières de sécurité aux points critiques installées, les machines, parfois encore suspendues aux falaises, déplacées, et enfin l’arrêté de circulation établi. La semaine dernière, le préfet Bonnetain affirmait néanmoins que c’était « une véritable prouesse d’avoir réalisé ces travaux dans ces délais-là ».

Une piste aux multiples contraintes
Le versant nord de la Sure est propice aux avalanches, dont les plus grosses connues, issues des pentes supérieures, peuvent atteindre le lac et donc franchir la piste, 1400 mètres plus bas. Un Plan d’intervention pour le déclenchement préventif des avalanches (PIDA) va être arrêté, puis sera assuré par les services de la station des Deux Alpes et de la société SATA basée à l’Alpe d’Huez. Lorsque le danger sera estimé caractérisé, des largages d’explosifs par hélicoptère auront lieu dans les pentes de la Sure et la piste de secours en contrebas sera fermée.


Le revêtement en enrobé permettra en revanche d’assurer un déneigement de la piste sur toute sa longueur. Large de 5m50 et munie de zones de croisement tous les 150 mètres, deux sections se franchiront néanmoins en alternat : 400 mètres au niveau de l’éperon miné et 200 mètres au niveau du franchissement de la Romanche, à l’amont.

D’un gabarit capable d’accueillir 1500 véhicules au PTRA inférieur à 19 tonnes par jour, la piste de secours devrait absorber « 90% du trafic local » en période normale selon les autorités, mais on redoute déjà les jours de pointe où, d’habitude, 600 à 800 véhicules par heure circulent via la RD1091 et le tunnel du Chambon. Lors des affluences touristiques, les autorités préviennent qu’elles encourageront « très fortement aux itinéraires de contournement, par Gap ou le tunnel de Fréjus » et qu’elles feront preuve « d’une grande capacité d’adaptation dans la gestion des flux ». Point d’extrapolation. Si les locaux affichent un nouvel optimisme, leur survie économique, sociale, appartient aujourd’hui au ciel et à ceux qui creusent.
Bon reportage. Merci